samedi 26 septembre 2009

Voltaire, cet inconnu, ce mythe, ce sectaire


« Je combattrai toujours vos idées ; mais je me ferais tuer pour que vous ayez le droit de les exprimer. » On connaît le mot attribué à Voltaire. Depuis l’affaire Calas, le patriarche de Ferney est vénéré comme le symbole même, avec Zola, du triomphe de la vérité et de la justice. Dès qu’une tentative pour bâillonner la liberté d’expression se fait jour, on réveille ses mânes. Son nom sert de symbole, parfois même de culte. Comme le remarquait Thomas Carlyle, « les Français, par ailleurs si sceptiques, croient en leur Voltaire ».


Écoutez l'émission avec Xavier Martin (48 min)

Professeur d’histoire du droit, Xavier Martin, est un des meilleurs spécialistes des idées du XVIIIe siècle sur lequel il a écrit depuis longtemps de très puissants ouvrages. Il n’a pas les honneurs médiatiques car il a un tort au pays de la tolérance affichée : il n’aime pas le siècle des Lumières. C’est une faute impardonnable. Il le connaît trop bien pour ignorer ce qui en fait toute la « modernité », le sectarisme que cache le grand discours sur la tolérance, les poses et les mots d’ordre de ces « philosophes » à la solde du grand homme. Xavier Martin traque les faux-semblants de ce siècle raffiné et venimeux.

Son Voltaire méconnu fascinera tous ceux qui sont avides de découvrir des détails nouveaux. Un exemple tiré de ce véritable réquisitoire dont on ne ressort pas indemne : quand Voltaire, jaloux, écrit le plus ignoble de ses pamphlets contre Rousseau, ce « sentiment du citoyen » qui sent son délateur, l’auteur du Traité sur la tolérance ne se contente pas de « balancer » Jean-Jacques, en révélant qu’il vient d’abandonner ses enfants à la DPJ (comme on dirait aujourd’hui). Martin nous montre qu’il va beaucoup plus loin : il invite les autorités suisses à brûler le livre de Rousseau, et, pour finir, il suggère de pendre « ce séditieux »...

Tout cela va à l'encontre du discours officiel perpétué par l'école (enfin si on lit encore Voltaire dans les écoles québécoises). Mais justement ce discours convenu sur l'humanisme des Lumières tend à sous-estimer l'une de ses composantes les plus originales : la propension à s'exprimer sur le mode du mépris ou de la haine. Généreusement documenté, l'essai présent inventorie les foisonnantes catégories qu'a honorées l'acrimonie des « philosophes » — celle de Voltaire principalement. Haine ou mépris du genre humain en général et des gens modestes en particulier... Mépris des femmes, à l'occasion jusqu'au sordide... Haine ou mépris des religions, éventuellement jusqu'au délire... Réelle absence de sympathie pour les Arabes et pour les Juifs... Inimitié envers les Turcs, jusqu'à certains fantasmes d'extermination... Mépris des Calas, que Voltaire, en douce, avec insistance tient pour « imbéciles »... Exécration des jeunes auteurs trop talentueux, que ce même humaniste a su œuvrer parfois à faire incarcérer par lettre de cachet... Tout cela est peu connu, en tout cas peu vulgarisé, comme si certains considéraient, avec l'intéressé lui-même, que « le vulgaire » ne mérite pas d'être informé. Or l'énumération n'est pas limitative. Car ce qui revit et palpite au fil de ces pages de lecture aisée, c'est la richesse thématique d'un moment dense et attachant de l'histoire de l'esprit humain. Ce moment, bien sûr, n'est pas réductible au mépris et à la haine, mais restituer ces composantes de son identité aide à moins mal saisir certaine complexité des valeurs décisives qu'il nous a léguées.


Voltaire méconnu
Aspects cachés de l'humanisme des Lumières (1750-1800)
de Xavier Martin
Éd. Dominique Martin Morin
Paris, septembre 2006
350 pages
ISBN-13: 978-2856523032





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4 commentaires:

Diberville a dit…

Très intéressant.

J'adore ce site : très bonne tenue on y apprend tellement de choses tues (le droit à l'ignorance) dans les médias québécois si conformistes et médiocrement de gauche.

Josick a dit…

Extrait d'un post :

...Ensuite, Voltaire (1694-1778) était cité : «Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je suis prêt à me battre jusqu'à la mort pour votre droit à le dire».
Et dans le pied de page de son blog, elle apporte cette précision intéressante :

«I disapprove of what you say, but I will defend to the death your right to say it» (en anglais)
«Je ne partage pas vos idées mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous puissiez les exprimer» (traduction)
Source : citation faussement attribuée à Voltaire par Evelyn Beatrice Hall (1906)
Cette célèbre formule est devenue en France le paradigme de la liberté d'expression.
Il s'agit de l'invention d'un auteur anglo-saxon, Evelyn Beatrice Hall. Elle figure dans son livre : The friends of Voltaire (Les amis de Voltaire), publié en 1906 sous le pseudonyme S[tephen] G. Tallentyre.
Par cette formule faussement attribuée à Voltaire, l'auteur voulait exprimer l'idée qu'elle se faisait de celui-ci.
Dans les faits, le spirituel auteur de Candide, qui aimait plus que tout la compagnie des puissants, y compris celle de Frédéric II, le Poutine de son temps, pratiquait une tolérance très sélective.
Il s'est plutôt réjoui des poursuites contre les jésuites, ses ennemis jurés, et s'est gardé de protester lorsque Malesherbes, le directeur de la Librairie royale, a suspendu, autrement dit censuré, la revue de son plus virulent ennemi, le dévot Fréron.
De ce point de vue, les milieux intellectuels n'ont guère évolué depuis Voltaire : ceux qui réclament (avec raison) le droit de critiquer sans entrave le fait religieux sont aussi (à tort) parmi les premiers à mettre des bornes à la liberté de penser l'Histoire (génocides, esclavage, colonisation,...)

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Sinon, nous avons aussi ceci :
Au chapitre Utopie et réalité : Leibniz, Gödel et les possibilités de la logique mathématique Bouveresse emprunte au mathématicien Karl Menger le récit suivant : « Pendant la Deuxième Guerre mondiale, [Gödel (réfugié à Princeton)] était obsédé par l’idée que certains des manuscrits de Leibniz risquaient d’être détruits parce qu’on n’avait probablement pas fait le nécessaire pour les mettre à l’abri. Il pensait même apparemment que certains avaient intérêt à ce qu’ils soient détruits. En 1939, Karl Menger lui a demandé qui pourrait bien avoir intérêt à ce que les écrits de Leibniz soient détruits. À quoi il a répondu : “Naturellement, les gens qui ne veulent pas que les hommes deviennent plus intelligents.” Et comme Menger lui avait objecté que Voltaire serait probablement une cible plus plausible, il a rétorqué : “Qui est jamais devenu plus intelligent en lisant les écrits de Voltaire ?” » J’avoue avoir jubilé à cette lecture : comment un géant de la pensée tel que Leibniz a-t-il pu être daubé [1], dans Candide, par le nain qu’était Voltaire à côté de lui ?

Durandal a dit…

Il y a aussi Platon et Aristote qui étaient favorables à l'infanticide des bébés garçons trop « faibles » et des bébés filles non-désirées.

Lire The Rise of Christianity de Rodney Stark (page 118), disponible sur Google Books.

Jonathan a dit…

Sous la statue de Voltaire
(poème de Louis Fréchette)

Ceci, c’est donc Voltaire !
Oui, je reconnais là
Ce « sourire hideux » que Musset flagella.
Le bronze grandit l’homme et lui donne du torse ;
Mais c’est bien là toujours la même lèvre torse,
Qui, de miel pour les rois ― ô rictus exécré ! ―
Soixante ans insulta tout ce qui fut sacré,
Et dont, ô mon pays, sur ta sainte blessure,
Vint rejaillir un jour la lâche éclaboussure.
Donc te voilà, Voltaire ! eh bien, lève un instant
La membrane qui bat sur cet œil clignotant ;
Dresse la tête, et puis laisse tomber le tome
Que tu tiens à la main. Bien ! maintenant, grand homme,
De ta bouche détends un peu les plis amers,
Et regarde là-bas, au bout des vastes mers !
Vois-tu ces champs sans nombre où les moissons abondent ?
Ce fleuve sillonné par des flottes que boudent
Les richesses des deux hémisphères ? Vois-tu
Ce progrès qui, sortant de tout sentier battu,
Loin du pâle émeutier comme des cours serviles,
Défriche la forêt pour y fonder des villes ?
Vois-tu ces bourgs nombreux et ces fières cités,
Ou fleurissent en paix toutes les libertés,
D’où les produits du sol et celui des usines
S’en vont alimenter les nations voisines,
Où tout un peuple enfin, généreux et vaillant,
Grandit, et sait encor prier en travaillant ?
Tu vois tout, n’est-ce pas ?
Très bien, regarde encore !
Plus loin ! vois ce pays immense que décore
Un ciel fait pour nourrir des poitrines d’airains,
Sol auquel il ne faut que des bras et des reins
Pour que ses prés sans borne et ses plaines fécondes
Deviennent à jamais le grenier des deux mondes !
Enfin, vois tous ces grands territoires ouverts
Aux avatars futurs d’un nouvel univers,
Où serpente déjà la route colossale
Qu’avait rêvée un jour Cavelier de La Salle,
Empire qui, baigné par ses trois océans,
Peut embrasser l’Europe entre ses bras géants !
Et dis-moi maintenant, de ta voix satanique
Qui crut pouvoir flétrir par sa verve cynique,
Dans un libelle atroce, ignoble, révoltant,
L’héroïne que tout bon Français aime tant !
De ta voix qui, mêlant l’ironie à l’astuce,
Raillait la France afin de mieux flatter la Prusse,
Et qui savait si bien, ô galant troubadour,
En huant Jeanne d’Arc chanter la Pompadour !
Dis-moi, de cette voix tant de fois sacrilège,
Ce que valaient, pourtant quelques arpents de neige !